Silver titubait méchamment et ressemblait étrangement au capitaine Jack Sparrow dans sa démarche hypergrâcieuse. En plus, le couloir semblait tanguer comme le pont d'un navire. Et Gabriel ne semblait perdre ni sa prestrance, ni sa bonne manière. Un peu comme une Elisabeth Swann, en moins chiante. Mais tout aussi distingué. Cela faisait bien trop de coïncidences pour ne pas rendre ce fantasme réel et la pimpante petite blonde s'imaginait prendre le large à bord du Black Pearl, loin de cette université bien trop guindée, et ces étudiants idieux (mélange d'odieux et idiots, très joli néologisme.) Le pied. Cependant, la voix de Gabriel semblait bien trop masculine pour appartenir à cette pétasse d'aristo guindée au corset trop serré, et son esprit embué par l'alcool sembla reprendre pied. Putain, comment avait-elle pu boire autant ? Silver ne buvait jamais d'alcool ou presque. La seule et unique fois qu'elle en avait ingurgité trop, c'était à sa soirée d'intégration, et elle avait fini en mauvaise posture avec Chuck Parker, l'étudiant le plus dégueulasse de toute l'Université. Il se croyait irresistible, sans savoir que son numéro d'ado prépubère bien trop sûr de lui était vu, et revu ou bien que certaines personnes étaient charmées par des défauts, des imperfections et non pas une arrogance démesurée. C'est à moitié nue, quand elle l'avait entendu appeller un de ses amis tout aussi dégénéré pour qu'il vienne voir (et se moquer sans doute) que Silver avait repris conscience et s'était enfui avant d'avoir faire un truc qu'elle aurait regretté toute sa vie. Depuis, l'alcool était banni de sa vie. Elle le supportait très très mal. La preuve ? Elle était archipompette. Et dans cette situation là, sa carapace et sa seule arme affûtée - à savoir sa répartie - se faisait la malle, laissant la place à des rires à n'en plus finir, et à des monologues décousus. Mais ce soir c'était différent. Elle était avec Gaby. Un ami. Elle ne risquait donc rien. N'est-ce pas ? Gabriel avait réussi à la toucher en plein coeur, alors que rien n'était gagné d'avance à l'origine. Il avait aimé ses articles, soit disant. Elle avait détesté ses airs de fils à papa propre sur lui, blasé par le monde qui l'entourait. Tellement cliché. Silver ne lui avait laissé aucune chance, et parfois elle s'en voulait de pouvoir se vanter de se battre pour ce qu'elle estimait juste, tout en étant parfois si intolérante. Tous ces jeunes désabusés n'étaient pas ce qu'ils semblaient être. Gabriel avait toujours ses manies de gentleman et sa démarche si élégante, pourtant, Silver avait appris à le connaître et à dénicher qui il était réellement. Et ce qu'elle avait découvert lui avait plu. Bien plus que la majeure partie des enquêtes qu'elle s'évertuait à résoudre. Il était une énigme fascinante et maintenant, elle n'aurait pas pu vivre sans sa complicité. Silver ne cherchait pas à savoir si Gaby pensait la même chose, ou non. Ces choses là ne lui importaient pas ; elle était une passionnée que la fierté n'entravait nullement. Elle aimait les gens, et se fichait bien de ce qu'ils pouvaient ressentir en retour, ça lui était égal, elle n'était pas égoïste. Tout comme elle ne souhaitait pas savoir ce que les personnes qu'elle méprisait pouvaient penser d'elle, ça coulait de source. Silver esquissa un sourire mutin de fille un peu ivre et se raccrocha à Gabriel pour ne pas s'étaler de tout son long en pouffant, avant de franchir la porte et de virvolter sur elle même tout en se dirigeant d'une façon hypergrâcieuse et distinguée - ironie - jusqu'à la scène.
- D'humeur théâtrale ? Tu parles à une artiste accomplie voyons. Avant de faire parti du club de théâtre l'année dernière, j'avais déjà une très grande expérience dans le domaine : j'ai interprété de façon très inspirée le rôle d'un arbre à l'école primaire. Mais pas n'importe quel arbre, ça non. C'était quand même un hêtre... Silver ponctua sa tirade d'une posture théâtrale, avant de tendre la main à Gabriel pour qu'il la rejoigne sur scène Et toi Roméo, qu'est-ce que tu as dans le ventre ?
Silver esquissa un sourire enfantin qui détonnait drôlement avec ses rictus cyniques et insolents habituels, mais que voulez vous, la demoiselle avait l'alcool joyeux. Assez pour tourner en dérision ses rôles phares dans les pièces de l'école. Non pas que Miss Delaney n'était pas une pro de l'auto dérision - c'était une arme comme une autre - mais la plupart du temps, c'était moins marrant. Elle avait toujours été douée pour s'exprimer grâce au théâtre ou à la musique (surtout le piano en fait) mais ses professeurs la reléguaient aux derniers rangs parce qu'elle n'était pas aussi fifille que ses petites camarades de classe. Puis, à l'adolescence, elle était trop boulotte, pas assez jolie, pas assez souriante... Ce que les gens pouvaient être déprimants, parfois. Le vrai talent ne s'exprimait pourtant pas dans une jolie plastique. Maintenant, Silver n'avait plus ce problème. Non pas parce que son corps s'était transformé, mais parce qu'elle s'était énormément affirmée, quelques mois après la mort de son père.